Analyse de l'acquisition d'AssurOne
La Société Centrale Prévoir a acheté le groupe AssurOne en Janvier 2019.
Pour simplifier, AssurOne est un courtier IARD essentiellement automobile (80% CA) pour les particuliers. C’est un courtier grossiste en BtoBtoC qui a par ailleurs développé une petite activité directe en BtoC. Elle dispose d’un centre d’appels téléphoniques et d’accords avec des constructeurs automobile comme Peugeot, Ford ou Volvo. Par ailleurs, AssurOne a une filiale UtWin, plateforme digitale créée il y a environ trois ans qui vend de l’assurance emprunteur.
AssurOne a réalisé un CA 2018 de 36 millions d’euros et UtWin 5 millions d’euros. UtWin devait réaliser 7 millions d’euros en 2018, c’est pourquoi dans la lettre aux actionnaire de Février 2019 vous avez un total groupe de CA de 43 millions au lieu de 41 millions, le chiffre réel. Mais en réalité UtWin serait déjà en retard de 2 millions d’euros (soit 30%) sur son plan de développement…
Avec 5 millions d’euros de primes en 2018 et un EBE du 0,2 million d’euros, UtWin a un résultat négatif et nécessite un investissement supplémentaire d’environ 5 millions d’euros sur les 18 prochains mois. Utwin vise à remplacer notre accord avec April en assurance-emprunteurs qui génère 85 millions de primes (Cf. CA de Prévoir Partnenaires en 2018). UtWin aurait été valorisé 20 millions d’euros dans la transaction par Prévoir. Les fondateurs d’UtWin se seraient partagé 6 millions d’euros.
Avec 36 millions de primes en 2018, AssurOne, à périmètre constant, a cru de 6,7% par an depuis 2014 puisque son chiffre d’affaires était de 26 millions d’euros en 2014 selon capital IQ. AssurOne génère un excédent brut d’exploitation de 2,6 millions d’euros en 2018 et un résultat négatif de 1,4 millions d’euros. AssurOne aurait été valorisé 95 millions d’euros par Prévoir dans la transaction.
Quelles peuvent être les synergies d’AssurOne avec Prévoir ? La question mérite d’ête posée. D’une part, il s’agit d’une activité de courtage et d’autre part, elle exerce sur un type d’assurances que Prévoir ne fabrique pas. Prévoir est un spécialiste d’assurances des personnes. Peut-on s’attendre à des synergies en termes de coûts ou à des synergies commerciales du fait de cette acquisition? Les dirigeants de Prévoir ont répondu à ces questions à l’Assemblée générale du 6 juin 2019: il n’y a pas de synergies à attendre pour Prevoir en matière de coûts, et de manière seulement indirecte en matière commerciale, en supposant une vente de produits d’assurances à la personne via le canal numérique. Notre CEO voit l’acquisition d’AssurOne comme un investissement financier.
Si, comme l’indiquent des sources sérieuses Prevoir a bien valorisé AssurOne hors UtWin à 95 millions d’euros, Prévoir a jugé bon de payer un multiple de 36X l’EBE 2018 d’AssurOne hors Utwin. Ce qui veut dire qu’à rentabilité constante, nous allons mettre plus de 35 ans avant de commencer à gagner de l’argent sur cet investissement. Sauf à ce que l’activité, à rentabilité constante, s’accroisse à un rythme très élevé, ce qui n’était pas le cas pour les 5 dernières années (6,7%). Il appartiendra aux dirigeants de Prévoir de montrer qu’un tel prix d’acquisition avait un sens et qu’il s’agit d’un investissement rentable.
Vous trouverez dans ce blog les multiples de transactions connus de l’ensemble des acteurs dans le secteur du courtage, pour les trois dernières années, cf le tableau plus haut « les chiffres AssurOne », tableau constitué à partir des bases de données Capital IQ et CFNews. Aucun courtier n’a jamais été vendu sur la base d’un multiple de 36X l’EBE. AssurOne aurait été acheté par Anacap à ses fondateurs en 2014 pour 55 millions d’euros selon Capital IQ. A l’époque, AssurOne faisait 26 millions de chiffre d’affaires. La société AssurOne sans UtWin vaut-elle beaucoup plus aujourd’hui ? Même les multiples de chiffre d’affaires des transactions comparables (qui ne sont jamais les multiples que les financiers retiennent pour apprécier la valeur d’une société, car ils ne capturent pas la rentabilité) ne dépassent pas la moyenne de 2X le chiffre d’affaires (donc une valeur max de 70 millions d’euros).
Le groupe Prévoir a-t-il été bien avisé de payer 115 millions d’euros pour l’ensemble AssurOne et UtWin ? Il appartient aux dirigeants du groupe de nous expliquer leur décision, décision dont les motifs étonnent les professionnels du secteur, compte tenu des multiples pratiqués. Les dirigeants de Prevoir nous disent être confiants qu’AssurOne et UtWin ensemble réaliseront 11 millions d’euros de résultat net en 2021.
Point étonnant : la direction laisse entendre que S&P approuverait cette transaction dans un texte très ambigu (voir page 8 rapport d’activité vol 1). Une agence de notation comme S&P est rémunérée par le groupe Prévoir pour donner une notation quant à la solvabilité du groupe eu égard aux engagements de Prévoir vis à vis des tiers. Il ne rentre nullement dans les compétences de S&P, ni dans son cahier des charges, de juger si telle ou telle acquisition sera rentable pour le groupe Prévoir. Si S&P était McKinsey , ça se saurait! Il convient donc de ne pas laisser croire aux actionnaires que S&P aurait fait un audit d’AssurOne et applaudi des deux mains cette acquisition.
Nous aurions engagé 120 millions d’euros dans cet investissement : 115 millions pour le prix d’acquisition et 5 millions pour les capex. Pour que cet investissement génère la même rentabilité que celle des capitaux engagés du Groupe, soit 4% nets d’impôts, il faudrait que l’investissement génère 5,2 millions de résultat net d'impôts. Passer d’un résultat négatif de 1,4 millions à un résultat net positif de 5,2 millions d’euros parait une bien grande ambition ! Quid alors d’un résultat net de 11 millions d’euros en 2021?
En conclusion, cette acquisition a détruit de la valeur pour Prévoir et ses actionnaires pour au moins 40 millions d’euros, soit 7 euros par action. Il est essentiel que le conseil d’administration du groupe Prévoir réponde aux interrogations des actionnaires sur le bien-fondé et sur les méthodes qui ont conduit à retenir AssurOne et à l’acquérir à ce prix étonnant, dans ce qui est la première acquisition effectuée par le groupe depuis 1910. Pour cette acquisition, Prevoir s’est fait conseiller par les avocats de BGDS et Fidal, par le cabinet d’expertise comptable Exco et par le cabinet d’actuariat Pericles.